Par Delphine TANGUY023 – Publié le 02/05/23 à 12:29 – Sur le site www.laprovence.com
Déscolarisé jusqu’à ses 14 ans, ballotté de foyer en famille d’accueil, ce gamin de la cité consolat (15e) est devenu le défenseur des enfants placés. Invité par le gouvernement américain, il part témoigner aux États-Unis.
Étudiant, Hamza Bensatem préside l’antenne des Bouches-du-Rhône de l’Adepape, association d’aide aux enfants placés.
La blague, ce n’est pas est-ce que Netflix s’emparera de la vie d’Hamza Bensatem – mais quand ? Parce qu’il y a tout, dans l’histoire de ce jeune Marseillais de 25 ans, pour faire un de ces films sur la rédemption, le courage face à l’adversité, la rage de s’en sortir, dont est si friand le public américain. Et dont Marseille, ville fracturée, meurtrie, a tant besoin aussi pour inspirer sa jeunesse. Ni footballeur millionnaire, ni influenceur de la télé-réalité, Hamza Bensatem propose une autre issue que celle de la fortune et des likes : ou comment transformer la colère en combat.
Né cinquième frangin d’une fratrie de six, élevés dans la cité Consolat (15e) par une mère seule et malade (fibromyalgie, grave dépression), il est un petit garçon « hyperactif, en colère tout le temps », mais aussi profondément soudé à cette maman fragile, sur laquelle il veille jalousement : alors l’école, comme ses frères, il n’y va pas. Il a 11 ans quand l’Aide sociale à l’enfance (ASE) le place, ainsi que son petit frère – qui deviendra comptable – dans un foyer à Embrun, une petite commune des Hautes-Alpes. Douze quand il tente de se pendre dans sa chambre. « J’étais en souffrance, fracassé. » Hospitalisé six mois en pédiatrie à Gap, il s’en souvient comme du « meilleur moment » de sa jeune vie : « Pour la première fois, je me sentais contenu et soutenu ». Mais c’est aussi à partir de là qu’il entre « dans le cercle infernal de la psychiatrie, des médicaments qui t’écrasent. On te répète sans cesse : ta mère est malade, ton frère est malade, tu finis par le croire, par le confirmer, pour qu’enfin, on s’occupe de toi ». Des Alpes à l’Hérault, de foyer en famille d’accueil, il a 14 ans lorsqu’il revient à Marseille. « Là je n’avais plus de mère du tout, elle était hospitalisée, je commençais à faire des petites conneries : et pour vivre, je me suis mis à travailler, je faisais le service dans un resto du cours Julien, le patron me payait, au black évidemment, c’était 5 € de l’heure. C’était ça ou le charbon (le deal, Ndlr). » Faire le chouf, il a bien essayé, un mois : « Je préférais le resto ».
Rattrapé par les cheveux, Hamza atterrit à la Maison d’enfants à caractère social (Mecs) des Saints-Anges, à Mazargues (8e). Il entre en 4e : c’est la première fois de sa vie qu’il se met à suivre ce qu’on appelle une scolarité. Ses lacunes ? Elles sont gigantesques. Mais c’est aussi là que, pour la première fois, les adultes entrevoient en lui un « potentiel » : « J’étais devenu très débrouillard et puis j’avais cette aisance à l’oral, qui m’a sans doute toujours sauvé. » Cours de soutien, bac pro obtenu avec mention, Hamza refuse ce qu’on lui vend au bout : un CAP routier, « pour avoir du boulot vite, parce que ça embauche », mais qui ne le fait pas rêver.
À quoi tiennent les trajectoires ? Peut-être à ce chauffeur routier, justement, qui à la fin de son stage lui dit : « Franchement petit, fais autre chose, tu peux faire mieux. » C’est une lumière qui s’allume. Un itinéraire bis qui se dessine. « Une famille, normalement, c’est quelque chose sur laquelle tu peux t’appuyer pour avancer. Moi, à ce moment, je voyais mes grands frères tomber, partir en prison, j’ai compris qu’il fallait que j’accepte de ne pas pouvoir compter sur eux. Je me suis dit : ‘Toi, tu dois foncer. »
Grâce à une fondation, il trouve le financement pour entrer à la Kedge business school, sur le campus de Luminy : lui, le gosse de la rue, y est aujourd’hui étudiant en Master 2 « management des organisations ». Il préside aussi l’Association départementale d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (Adepape) des Bouches-du-Rhône, un mandat qu’il exerce avec un aplomb et une légitimité reconnus dans toute la France, parmi les enfants placés jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir : Emmanuel Macron ou ses secrétaires d’État successifs (Adrien Taquet, Charlotte Caubel) ont ainsi été saisis par la force de son discours, le respect qu’impose son parcours.
« Surtout besoin d’écoute et d’amour »
« Ce qui relie les 345 000 enfants placés actuels, un million de personnes sur quatre générations, c’est un trouble de l’attachement, le vide qu’il a laissé dans nos vies. Ça, on ne peut pas le régler, le réparer. On peut se tuer aux médocs ou l’accepter et s’en sortir ». Avec son association, il bataille contre les prises en charge qui « font des enfants des dossiers, des cas », les plus difficiles ballottés de foyer en foyer. Chez la petite prostituée marseillaise de 13 ans, comme chez le petit chouf violent de Port-de-Bouc, Hamza ne cesse jamais de voir « des enfants », capables de pleurer de peur devant une prise de sang… Dans le cadre de la nouvelle Unité d’accueil pédiatrique enfants en danger de La Timone, l’Adepape 13 a en effet passé une convention avec l’AP-HM pour un meilleur accompagnement des jeunes relevant de l’ASE. « Il y a une tendance lourde à leur psychiatrisation en ce moment, alors qu’ils ont surtout besoin d’écoute et d’amour ».
L’association milite aussi pour la fin des placements de mineurs à l’hôtel. « Ça ne devrait plus exister, mais à Marseille encore aujourd’hui, des mineurs y vivent, dans la plus grande solitude, sans repères, avec seulement le passage d’un éducateur », gronde-t-il. Ce sont ces récits terribles qui viennent « chatouiller » sa vieille colère, cette expérience du terrain, alliée à une capacité à réveiller un élu, un haut fonctionnaire au sujet d’une situation critique, qui a attiré l’attention de la consul des États-Unis à Marseille, Kristen Graver. « En mars, elle est venue au congrès de l’Adepape, on a discuté de la protection de l’enfance en France et dans son pays. »
Et puis, surprise, est arrivée la lettre que « sur le coup, tu prends pour une blague ». La chance d’une vie peut-être : le jeune Marseillais est invité par le gouvernement américain de Joe Biden à prendre part à un programme d’échanges autour de la protection de l’enfance. Du 6 au 27 mai, il sera le seul représentant français à sillonner le pays, de Washington à Orlando, parmi des experts venus du monde entier. Rencontres, conférences : « On va discuter avec des politiciens américains, des familles, comparer nos pratiques », relate le jeune homme, un peu sonné par cette incroyable proposition. Mais bien décidé à y porter haut la parole des enfants perdus : « Je flippe un peu, oui mais je suis fier… »
Quelque part, il y a un routier qui doit l’être un peu aussi.
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